Appel à articles pour le numéro thématique

 Berceuses : Circulations historiques et culturelles, transmissions de l’intime

Revue Textes et Contextes, vol. 18.1, 2023

Direction : Élise Petit, Anne Cayuela

 

Ce numéro 18.1 de Textes et Contextes se veut résolument pluridisciplinaire et vise à rassembler musicologues, historiennes et historiens, anthropologues, ethnologues, ethnomusicologues, sociologues, spécialistes de littérature, linguistes et thérapeutes. Le propos du numéro sera de  questionner un répertoire de « l’enfance des peuples » sur ce qu’il révèle de leur(s) histoire(s) et de leurs circulations, mais aussi des transmissions de l’intime, dans une perspective transhistorique et transdisciplinaire. Que nous apprennent les berceuses sur l’histoire parfois partielle ou fragmentaire des circulations et des migrations ? Quelle est l’importance de ces répertoires dans la transmission orale de l’histoire des peuples ? Les berceuses relatant des événements traumatiques pourraient-elles avoir un rôle « cathartique » ? Quels sont les enjeux extra-musicaux à l’œuvre pour l’interprète, souvent féminine ?

 Il sera pensé selon deux axes principaux.

 A.   Circulations, transferts culturels

Cet axe privilégiera les communications portant sur des transferts culturels, à toutes les époques, ou retraçant l’évolution du répertoire des berceuses au sein d’une population au fil des siècles. 

Tout comme le terme espagnol désignant la berceuse porte la trace du passé arabe – « Nana, nanita », formule initiale du chant, viendrait de « nám, nám, nám » qui signifie « dors, dors, dors » – le  répertoire des berceuses est riche d’enseignements sur les circulations de populations au fil des siècles : migration des populations nomades de l’Orient à l’Occident, domination arabe suivie de l’expulsion des morisques en 1609 dans la sphère hispanique, déracinement forcé de populations réduites en esclavage se retrouvent dans l’évolution esthétique des berceuses dans chaque sphère géographique. Certains styles musicaux liés à la berceuse, comme la nana du flamenco, témoignent d’un syncrétisme musical qui mériterait d’être analysé plus en détail.

B.   Transmissions de l’intime, berceuses et genre

 Tout au long des siècles, nombre de berceuses constituèrent des moyens de transmission d’une mémoire traumatique liée à des conflits ou des persécutions de nature politique, raciale ou religieuse : la fameuse « berceuse cosaque » collectée au xixe siècle, les berceuses yiddish ou séfarades[1] commémorant des pogroms ou l’exil des populations juives, les berceuses gitanes évoquant le sort des populations marginalisées, les berceuses composées dans les camps de concentration ou celles d’Atahualpa Yupanqui, emprisonné sous le régime de Juan Perón, en sont quelques exemples. Au-delà de l’aspect mémoriel et testimonial d’un tel répertoire, s’adressant à une communauté politique, religieuse ou culturelle, c’est aussi ce qu’il dit du destin des individus qui interpelle et intéresse. L’étude de ces répertoires interroge en outre sur l’aspect initiatique de chansons dont la violence du texte ou son caractère inattendu  contrastent de manière frappante avec l’esthétique musicale[2].

 La transmission de l’intime est aussi celle de l’interprète, le plus souvent féminine ; si l’objectif premier de la berceuse reste l’endormissement de l’enfant, certaines berceuses collectées évoquent cet enfant comme un fardeau et nombre d’entre elles s’en prennent, parfois avec virulence, au père absent. La berceuse acquiert alors un rôle exutoire et permet de formuler un mal-être qui contredit ici encore l’esthétique du genre musical : les enjeux d’apaisement s’appliqueraient-ils en premier lieu à la mère elle-même ? La berceuse de tradition orale n’offrirait-elle pas finalement un espace inédit de liberté pour l’interprète créatrice, qui chante pour un enfant dont elle suppose qu’il ne comprend pas le sens de ses récriminations ?

 La question des genres qui se croisent dans la berceuse interpelle également : les berceuses « savantes », destinées à l’exécution dans le cadre du concert ou en dehors de tout cadre fonctionnel, ont souvent été le fait de compositeurs et non de compositrices, alors que l’interprète est le plus souvent féminine et s’adresse souvent à un garçon. La dimension performative de la berceuse destinée au concert constitue-t-elle une forme de « mise en scène de l’intime », ou la rend-elle impossible ? La question du genre de la personne créatrice influe-t-elle sur les paroles, et dans quelle mesure ? Observe-t-on une différence notable de paroles selon que l’enfant destinataire est fille ou garçon ? Existe-t-il des corpus de berceuses destinées à être chantées par des hommes ?

 Les propositions de communications, en français, anglais ou espagnol, devront comporter un résumé d’une longueur approximative de 800 mots accompagné du plan prévisionnel de l’article. Il est également demandé  de joindre à la proposition une courte présentation biographique ainsi qu’une publication récente.

 L’ensemble des documents est à adresser à Élise Petit (elise.petit  [@] univ-grenoble-alpes [.] fr) et Anne Cayuela (anne.cayuela [@] univ-grenoble-alpes [.] fr) avant le 6 mai 2022.

Les candidatures retenues seront avisées fin mai 2022. Les articles (entre 30.000 et 40.000 caractères) devront être remis pour le 7 octobre 2022.

 


[1] Sami Sadak, « Transculturalité et identité musicale dans les répertoires judéo-espagnols », Cahiers d’ethnomusicologie, 2007, Vol. 20, p. 229-242.

[2] Lire par exemple Mukaddas Mijit, « Elley Balam : Une berceuse ouïghoure sur scène », Cahiers d’ethnomusicologie, 2018, Vol. 31, p. 241-248.

 

 

Bibliographie sommaire indicative

 ARLÉO Andy et DELALANDE Julie (dir.), Cultures enfantines. Universalité et diversité, Rennes, PUR, 2010.

 ALTMANN DE LITVAN Marina (dir.), La berceuse : Jeux d’amour et de magie, Ramonville-Saint-Agne, Érès, 2001.

 BRĂILOIU Constantin, Esquisse d’une méthode de folklore musical, Paris, Fischbacher, 1932.

 BRIDGES Christine, « La primera manifestación de la poesía femenina: la canción de cuna », Letras femeninas, 25(1-2), 1999, p. 107-114.

 BUSTARRET Anne, L’oreille tendre : Pour une première éducation auditive, Paris, éd. ouvrières, 1988.

 CHIAVONE López Verónica, La canción de cuna como experiencia musical fundante de la identidad de un sujeto. Tesis de licenciatura. San Salvador, Universidad del Salvador, 2008.

 COHEN Esther, « El rol de la mujer judia en la transmission de la cultura sefardi, siglos XVI-XVII », in Judit Targarona Borrâs & Angel Sâenz-Badillos (dir.), Jewish Studies at the Turn of the 20th Century, vol. II, Leiden, Brill, 1999, p. 491-497.

 COHEN Judith, « Evolving Roles of Women in Judeo-Spanish Song », in Michel Abitbol, Galit Hasan-Rokem & Yom-Tov Assis (dir.), Hispano-Jewish Civilization after 1492, Jerusalem, Misgav Yerushalayim, 1997, p. 81-100.

 GARCÍA LORCA, Federico, Les berceuses, trad. fr. Line Amselem, Allia, 2009.

 HOLLINGER Roland, Vers une biomusicologie : L’enfant et la musique, de la berceuse au rock, Hem, Éd. Gabri Andre, 1995.

 IDOYAGA MOLINA Anatilde, « Del arrorró a la calidez del sueño: las canciones de cuna y el mestizaje cultural en el área de Cuyo », Huellas, 6, 2008, p. 155-163.

 KRAMER Aaron (éd.), The Last Lullaby: Poetry from the Holocaust, Syracuse, Syracuse University Press, 1998.

 LABUSSIÈRE Annie, « Bercer en chantant : geste universel ? Un parcours analytique du plan de l’expression », in Jean-Luc Leroy (dir.), Actualité des universaux musicaux (Colloque Les Universaux, Aix-en Provence, octobre 2010), Paris, Édition des archives contemporaines, 2013, p. 199-207.

 MANERO LOZANO David, « Dark lullabies, A series of relics of children’s folk tradition conveyed by the indianos », in La voz de la memoria, nuevas aproximaciones al estudio de la literatura popular de tradición infantil, Homenaje a Pedro Cerrillo, coord. por César Sánchez Ortiz, Arantxa Sanz Tejeda, 2019, UCLM.

 MARTÍN-ORTEGA Elisa, AUGUST-ZAREBSKA Agnieszka, « Poesía infantil sefardí: de la tradición oral a las canciones de cuna contemporáneas », Ocnos, Revista de Estudios sobre Lectura, 16 (2), 2017, p. 50-59.

 MASERA Mariana, « Las nanas: ¿una canción femenina?  », Disparidades. Revista De Antropología, 49 (1), 1994, p. 199-219.

 STERLING A., « The Language of Lullabies », Young Children, 60(5), 2000, p. 30-36.

 TEJERO ROBLEDO Eduardo, « La canción de cuna y su función de catarsis en la mujer », Didáctica. Lengua Y Literatura, vol. 14, 2002, p. 211-232.

 TROCHIMCZYK Maja, « Mater Dolorosa and Maternal Love in Górecki’s Music », Polish Music Journal, [En ligne], vol. 6, n° 2, 2003.

 

Responsables de la publication

  • Élise Petit, Maîtresse de Conférences UGA en Histoire de la Musique des XXe et XXIe siècles, Directrice du Département de Musicologie de l'UGA, Laboratoire LUHCIE
  • Anne Cayuela, Professeure des Universités UGA, Laboratoire ILCEA4, Directrice du CERHIS (Centre d'études et de recherches hispaniques de l'UGA)

 

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